PIERRE GASCAR
le présage
"L'appareil de répression est, de toutes les mécaniques, la seule qui continue de fonctionner indéfiniment et qui même s'accélère, sans qu'on y touche, une fois que le branle lui a été donné..."
"Comment le poète, l'artiste, ne s'identifierait-il pas à ce végétal obscur et inutile, relié à la primitivité, doué d'une longétivité sans égale, supportant tous les climats, ami de l'ombre comme de la lumière ardente des déserts, poussant en tous lieux, sauf dans ceux que les hommes infestent par leur nombre, vivant son printemps dans l'hiver, n'ayant jamais la même forme ni jamais tout à fait la même couleur ? Végétal vigilant que le lichen, mais de la vigilance du rêve, et comme étranger à ce qui donne ordinairement matière à témoignages. Le vent, qui fait frissonner jusqu'aux mousses, n'agit d'aucune façon sur les lichens; le gel ou la canicule, la sécheresse ou le déluge ne modifie ni leur forme ni leurs couleurs. Ils montrent une indifférence minérale. Mais leur nombre, leur ubiquité, le fait que, doués de longévité et biologiquement archaïques, à la fois algues et champignons, ils se rattachent à un temps antérieur à toute autre forme de vie, nous conduit à leur prêter une sorte de conscience, à voir en eux ce qui n'est rien, qui ne participe pas, mais qui fait tache, qui est là, prêt à éclore, à éclater de lucidité, de science ; lichens demain dénonciateurs, yeux encore dormants sous leurs paupières de gomme, lichens vieille promesse d'un éveil."
"Parce que fuir le monde est peut-être la plus sage façon d'y placer son espoir. C'est rechercher l'image de la vie là où elle reflue, se concentre à nouveau, reprend force. « Ce qui m'émeut, dans les lichens, écrivait Sbarbaro, c'est leur fantastique puissance de vie, leur " superbe " » (je m'applique à rendre le sens de la formule : prepotenza di vita). Ainsi, ce qui pourrait apparaître comme une démission définitive est, en réalité, une sorte de repli stratégique sur ce que le monde garde d'intact, en réserve."